Gibiers de potence

2013-2014

Gibiers de potence

La société et ses indésirables

xve xixe siècle

 

organisé par Antoine Follain avec Georges Bischoff

Faisant suite au séminaire 2012-2013 « Bandes, bandits, voleurs et vagabonds XVIe XVIIIe siècle » le séminaire d’axe 2013-2014 confirme le caractère international des contributions, tire les enseignements de la première année et ouvre résolument la thématique aux personnes aux marges de la société, les pauvres, les mendiants, les bohémiens, les lépreux, rejetés voire criminalisés, de la fin du Moyen Age au XIXe siècle. L’interrogation principale porte sur leur rapport avec le corps social, qu'ils s'efforcent d'y être toujours rattachés, vivent à la marge ou réorganisent leur propre société parallèle. Elle est de l’ordre du réel comme de celui des « représentations ».

Comme les années précédentes, le séminaire doit déboucher sur une édition et il comprendra un travail accompli avec des étudiants, à savoir l’édition et analyse de procès inédits tout juste tirés des archives et transcrits avec des étudiants en master (2007-2011). Il s'agit des procès faits aux « caressets » des Vosges dans les années 1590 à 1610 surtout. Le prévôt d’Arches, en particulier, organisa contre eux des battues dans les forêts entre le duché de Lorraine et la comté de Bourgogne. Au travers de leurs interrogatoires, ces « Gibiers de potence » accompagnés de leurs « garces » apparaissent comme tout à la fois des mendiants et des bandits de grand chemin, des colporteurs allant et venant entre l'Allemaigne (l’Alsace) et la Lorraine, des hommes de journée ou des gens de métiers, d'anciens soldats, des vagabonds, à l'occasion des assassins, des monstres et parfois des bonshommes inoffensifs, des solitaires ou des compagnons de fortune. Savoir s’il existait un « roi des caressets » et où le trouver était une obsession du prévôt d’Arches.

Fort éloignée de la réalité, cette crainte d’une bande de « la Caresse » ou des Vosges renvoie à une certaine peur des brigands qui a été développée dans le corps social à partir du procès fait en 1455 à Dijon aux « coquillards ». Ces « galans » et « mauvais guerçons » se retrouvaient en ville, dans un bordel, et leur bande s’appelait « les compaignons de la Coquille ». Dans les sources juridiques et dans les actes de la pratique judiciaire, le vol prend une ampleur nouvelle au XVIe sicèle. Josse de Damhoudere dénonce le « larcin » comme un crime « si commun entre toutes nations de gens, qu’on treuve difficilement aucune crime entre les hommes plus frequent ou cogneu »[7]. Contraire aux relations sociales, aux valeurs nouvelles du travail et de la propriété, frappé d’interdit religieux, le « furt », le vol, ce « crime détestable », n’encourt pas encore de peine extrême. Mais les circonstances, l’identité du voleur et la récidive conduisent facilement au gibet l’auteur d’un vol, à moins que le bannissement suffise pour éradiquer de la juridiction le voleur, et le vagabond, l’étranger, qui est seulement soupçonné.

Dès 1522 le « Grand bureau des pauvres » à Paris est institué pour résoudre la question de la mendicité agressive et des « cours des miracles ». En Angleterre, un act d'Elisabeth en 1575 institue les « Houses of Correction » visant « la punition des vagabonds et le soulagement des pauvres »[8]. Relancé au début du XVIIe siècle, le mythe de la contre-société criminelle inspire à un certain Ollivier Chereau son livret « Le Jargon ou Langage de l’Argot reformé », où l’auteur décrit l’« Argot », un métier de mendiant organisé en corporation, dont le nom désignera plus tard le jargon des « gueux ». Dans le même siècle, la peur de l’errant et le délitement de l’image chrétienne du pauvre souffrant aboutissent en France au « grand Renfermement » dans les Hôpitaux Généraux ; établissements voués à l’incarcération, au soin et au relèvement du niveau « moral » des pauvres. L’initiative appartient aux Villes. Ainsi l’Hôpital Général Saint-Joseph de La Grave est-il institué en 1647 à Toulouse, dans les locaux de l’Hôpital Saint-Sébastien précédemment voué aux pestiférés et réaffecté pour incarcérer les pauvres, trop nombreux à converger vers les villes. En 1656 est créé l’hôpital général de Paris. En Hollande, en Italie, en Espagne, dans le Saint Empire, sont créés des lieux d'internement. En « quelques années, c'est tout un réseau qui a été jeté sur l'Europe » (Michel Foucault).

Paradoxalement, certains bandits au XVIIIe siècle deviennent des phénomènes judiciaires et des héros de papier, alors que les bandes semblent devenir un nouveau modèle criminel, inquiètent réellement et se développent durant la Révolution et au XIXe siècle. C’est le cas de Louis Mandrin, Cartouche, ou encore Gaspard de Besse en France, et de Jack Shepard, Dick Turpin et Jonathan Wild en Angleterre. Il y a même un exemple féminin avec Marion du Faouët en Bretagne[9].

Le thème du séminaire sera traité en 2013-2014 en invitant des collègues spécialistes et en mobilisant les ressources humaines de l’EA 3400 en histoire et histoire de l’Art. La géographie (de l’Alsace à Londres en passant par Amsterdam), la période, les sources seront variées, depuis les actes de la pratique judiciaire jusqu’aux chansons populaires. Les plus concernés parmi les juges de l’époque moderne, les « prévôts des maréchaux » du roi de France, ont été une juridiction sans archives aux XVIe et XVIIe siècles, prompte à « brancher » les bandits de grand chemin sans rien laisser d’eux. Il existe heureusement d’autres sources pour instruire les historiens.

 

Programme

Premier semestre 

Ve. 27 septembre 14h 16h 
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Sébastien Jahan (MC Histoire moderne université de Poitiers, membre du GERHICO EA 4270)
« Figures de la marginalité dans le Poitou du XVIIIe siècle »

Ve. 18 octobre (annulé)
- Marion Vaillant (doctorante université Paris VIII, UMR 8533 équipe Institutions et Dynamiques Historiques de l’Economie)[1]
« Whitechapel, un repaire de bandits ? Voleurs et commerçants dans l'East End londonien à la fin du XVIIIe siècle »

Je. 24 octobre 14h 16h
MISHA, séance incluse dans les « Journées de l’EA 3400 » à destination de tous les étudiants en master et des doctorants et collègues de l’EA
- Antoine Follain (PR Histoire moderne université de Strasbourg, EA 3400)
« Présentation du programme »
- Camille Dagot(doctorante en Histoire moderne, université de Strasbourg, EA 3400)[2]
« Des coupeurs de bourses aux brigands des forêts : le vol dans la hiérarchie des crimes dans le val de Lièpvre (XVIe-XVIIe siècles) » 
- Lisa Bogani (doctorante allocataire-monitrice en Histoire contemporaine, université Blaise Pascal Clermont-Ferrand 2, EA 1001 CHEC Centre d’Histoire Espaces et Cultures)[3]
« Présumé coupable. La réputation à travers les enquêtes judiciaires pour vols en Auvergne au cours du premier XIXe siècle ».

Ve. 15 novembre 10h 12h
Institut d’Histoire moderne salle 109 
- Georges Bischoff (PR Histoire médiévale université de Strasbourg, EA 3400)
« Voleur de grand chemin ou chevalier brigand: l'exemple de Studenoberlin (1454) »

Ve. 22 novembre 14h 16h
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Sarah Auspert (Aspirante F.R.S.-FNRS, Université catholique de Louvain, CHDJ Centre d'histoire du droit et de la justice, doctorante université de Louvain)[4]
« Les itinéraires féminins du vagabondage dans l’espace « belge »[5] au XVIIIe siècle »

Ve. 6 décembre 14h 16h
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Frank Muller (PR émérite Histoire moderne université de Strasbourg, EA 3400)
« Jan van Batenburg, un brigand anabaptiste au XVIe siècle »

13 décembre14h 16h
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Anne Corneloup (MC Histoire de l’Art université de Strasbourg, EA 3400)
« Ejemplo de vagamundos * y espejo de tacaños (du marginal exemplaire dans la peinture au Siècle d'Or) »

* Il faut bien lire ici « vagamundos », en référence au Buscon de Quevedo[6], et non pas « vagabundos ». 

Second semestre 

Ve. 31 janvier 14h 16h
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Valérie Toureille (MC en Histoire médiévale, HDR, université de Cergy-Pontoise, CICC EA 2429 centre de recherches sur les Civilisations et Identités Culturelles Comparées des sociétés européennes et occidentales)
« Jean lebrun ou l’archétype du grand criminel »

Ve. 21 février 14h 17h
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Emmanuel Gérardin (doctorant Université de Strasbourg EA 3400) 
« Les voleurs : des criminels impardonnables ? Le vol dans les lettres de rémission lorraines au XVIe siècle »
- Camille Dagot (doctorante Université de Strasbourg EA 3400)
« Démasquer le criminel. Les enjeux de l'identification des criminels dans la prévôté d'Arches (XVIe-XVIIe siècle) »

Ve. 14 mars 14h 16h30
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Elisabeth Clementz (MC Histoire de l’Alsace Université de Strasbourg EA 3400)
« Les lépreux en Alsace : exclusion ou intégration ? »
- Jessica Leuck(étudiante en master Université de Strasbourg EA 3400)
« L'exclusion des syphilitiques au début du XVIe siècle ».

Ve. 11 avril 13h30 17h30
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Eva Guillorel (MC université de Caen, UMR 6583 CRHQ)
« Noblesse et brigandage dans la Bretagne du XVIIe siècle »
- Mathilde Roellinger (institut d’Histoire de l’Art, Université de Strasbourg EA 3400)
« Vagabonds au temps des Lumières : représentations des marginaux au XVIIIe siècle »

Ve. 21 mai 14h 16h
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Anne-Valérie Solignat (MC Histoire moderne Université de Strasbourg EA 3400)
« Retour sur la légende des Grands Jours d'Auvergne et des seigneurs auvergnats brigands et assassins »

[date et horaire à venir]
Institut d’Histoire moderne salle 109
- Nicolas Bourguinat (PR Histoire contemporaine Université de Strasbourg, directeur de l’EA 3400)
« Le brigandage romain (fin XVIIIe siècle-début XIXe siècle) »

 

 

[1] Spécialiste en histoire du Droit et de la Justice, histoire de la criminalité, Marion Vaillant prépare une thèse sur « Le vol et les voleurs à Londres au XVIIIe siècle » sous la direction de Philippe Minard.

[2] Camille Dagot a soutenu en 2013 un mémoire de master sous la direction d’Antoine Follain : « Le voleur face à la justice lorraine. Le cas particulier du val de Lièpvre 1551-1629. Elle a obtenu une allocation doctorale et prépare une thèse sur « Le vol et les voleurs dans les Vosges aux XVIe et XVIIe siècles ».

[3] Co-lauréate en 2012 du premier prix d'histoire du XIXe siècle, attribué par le Centre d'Histoire du XIXe siècle (Paris IV) et la revue RH19 pour son master « Les rébellions dans le Puy-de-Dôme de 1811 à 1851 ». Thèse en cours : « Vols et voleurs en Auvergne au XIXe siècle : Entre "réalité" judiciaire et imaginaire populaire » sous la direction de Jean-Claude Caron.

[4]Spécialisteen histoire du Droit et de la Justice, histoire de la criminalité, histoire des femmes et du genre, histoire des migrations. Doctorante à l’Université Catholique de Louvain (UCL, Belgique) « La circulation des prostituées dans l'espace "belge" (1750-1815) » sous la direction de Xavier Rousseaux. Elle a publié entre autres avec Buveurs, voleuses, insensés et prisonniers à Namur au XVIIIe siècle. Déviance, justice et régulation sociale au temps des Lumières, Namur, Presses universitaires, 2012, 183 p., (avec Isabelle Parmentier, et Xavier Rousseaux), et « Gérer la misérable, chasser l'indésirable et maîtriser l'indomptable. Critères de choix et objectifs des sentences criminelles prononcées contre les femmes par les juges de Namur dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », p. 309-319 in Garnot, Benoît, et Lemesle, Bruno (dir.), Autour de la sentence judiciaire du Moyen Âge à l'époque contemporaine, Dijon, EUD, 376 p.

[5] L’expression "espace belge" est ici une commodité. Les termes historiques exacts sont Pays-Bas autrichiens et Principauté de Liège (à partir de 1715 et jusqu'à la Révolution française, le territoire de l'actuelle Belgique est essentiellement partagé entre ces deux entités politiques).

[6] Historia de la vida del Buscón, llamado Don Pablos, ejemplo de vagamundos y espejo de tacaños (1603-1608 ou 1620, 1ère éd. 1626) ou en français El Buscón, la Vie de l'Aventurier Don Pablos de Ségovie,ou simplement El Buscón, roman picaresque de Francisco de Quevedo.

[7] Practique judiciaire es causes criminelles, tres utile et necessaire à tous baillisz, prevostz, seneschaux, escoutettes, maires et autres justiciers et officiers de toutes provinces, à Anvers chez Jehan Bellere, 1564, chapitre CX.

[8] Leur mise en place dans tous les comtés semble avoir été un échec. Leur succèderont les Workhouses dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

[9] Un autre cas du XVIIe siècle est à signaler, celui de « lady Katherine Ferrers » (v. 1634-1660), jeune orpheline puis jeune veuve, qui serait devenue bandit de grand chemin et serait décédée de ses blessures suite à un échange de coups de feu. La légende postérieure dépasse tout ce qui est historiquement vérifiable.