Professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Strasbourg jusqu’en 1991, membre de l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres depuis 1994, Francis Rapp s’est éteint à Angers le 29 mars, dans sa quatre-vingt-quatorzième année, victime de l’épidémie de coronavirus. Il avait été très affecté par la perte de son épouse, Marie Rose, décédée en 2018. Le couple avait trois fils et des petits-enfants.
Reçu premier au CAPES d’histoire-géographie et à l’agrégation d’histoire en 1952, pensionnaire à la fondation Thiers jusqu’en 1956, il avait alors obtenu un poste d’assistant en histoire moderne et contemporaine à Strasbourg puis de chargé d’enseignement en histoire médiévale à Nancy, de 1961 à son retour à Strasbourg cinq ans plus tard. Il avait succédé à Philippe Dollinger en tant que professeur en 1974. Sa passion pour l’histoire médiévale s’était affirmée dès 1949, à travers un diplôme d’études supérieures consacré aux châteaux-forts alsaciens. Elle s’était rapidement orientée vers l’histoire de l’Église, à laquelle il avait consacré l’un des grands manuels de la « Nouvelle Clio », L’Eglise et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, 1971, réédité à plusieurs reprises, et son doctorat d’État, soutenu en 1972 et paru l’année suivante sous le titre Réformes et réformation à Strasbourg. Eglise et société dans le diocèse de Strasbourg (1450-1525). Préparée sous le parrainage de Robert Folz et de Jean Schneider, cette thèse porte sur les efforts infructueux menés par l’Église pour réformer ses pratiques et ses institutions face aux attentes toujours plus fortes des fidèles : c’est un jalon essentiel dans la compréhension de la Réforme.
Ses publications ultérieures se sont principalement focalisées sur la chrétienté médiévale, sur les pays germaniques et sur l’Alsace. La trilogie formée par Les origines médiévales de l'Allemagne moderne. De Charles IV à Charles Quint (1346-1519) (Aubier, 1989), Le Saint Empire romain germanique. D’Otton le Grand à Charles Quint (Tallandier, 2001) et Maximilien d’Autriche (Tallandier, 2007) n’avait pas d’équivalent en langue française. Elle peut être complétée pas sa belle synthèse sur l’Église au temps des crises, Christentum IV : Zwischen Mittelalter und Neuzeit (1378-1552), (Kohlhammer, 2006), directement rédigée en allemand. Tout en s’adressant à un large public, ces ouvrages constituent des références incontournables qui associent l’érudition la plus sûre à une qualité d’écriture remarquable.
Brillant chercheur doublé d’un pédagogue hors pair, reconnu aussi bien pour son autorité scientifique que pour sa personnalité chaleureuse, Francis Rapp a profondément marqué le milieu des spécialistes de la période médiévale, mais n’a jamais hésité à en franchir les limites chronologiques. Il a dirigé un certain nombre d’entreprises collectives, notamment la grande Histoire de Strasbourg en quatre tomes, pilotée avec Georges Livet (DNA-Istra, 1981-1982) qui reste indépassée. D’innombrables articles lui ont permis de partager ses analyses sur des sujets aussi divers que la mystique rhénane, les chevaliers-brigands, les insurrections paysannes ou la Première Guerre mondiale, dans les revues les plus prestigieuses aussi bien que dans des publications locales.
Jusqu’à ces derniers mois, son rayonnement est venu illustrer ce que Marc Bloch, son prédécesseur, avait appelé le « service en ville » : porter la connaissance au plus grand nombre, par des conférences et par une présence sur le terrain au sein des sociétés savantes. Cette « pastorale de l’histoire » a fait naître de nombreuses vocations auprès de ses étudiants et de ses auditeurs. En effet, tout au long de sa vie, Francis Rapp s’est donné la mission de comprendre et de faire comprendre, en ramenant l’histoire sur le terrain de l’enquête, et la fonction de l’historien du côté de l’avocat – le métier de son père ‒, et non du procureur.
Né à Strasbourg le 27 juin 1926 dans une famille catholique bien enracinée dans le vignoble de Moyenne Alsace, grandi à l’école du scoutisme, il avait connu l’épreuve, terrible, de l’annexion nazie, aux antipodes de la vocation militaire qui lui faisait rêver de Saint-Cyr. Vocation définitivement contrariée en 1944, après s’être rendu malade pour se soustraire à l’incorporation de force des garçons de sa génération. L’Université y a gagné un maître et l’Alsace, un médiateur fidèle et bienveillant, au carrefour d’une Allemagne redevenue, à ses yeux, celle des Dichter und Denker, des poètes et des penseurs, et non celle des Richter und Hencker, des juges et des bourreaux qu’il avait côtoyée, et de la France de Jeanne d’Arc et de Marc Bloch dont il se réclamait.
Historien de l’Église, Francis Rapp se reconnaissait aussi dans les figures tutélaires de François d’Assise et du prédicateur Jean Geiler de Kaysersberg : il tenait du premier la foi des Fioretti, l’humilité et le goût de la paix ; du second, la puissance des images et des mots, le sens de l’engagement et même, parfois, de la provocation, et des deux, celui de l’humanité.
(texte de Georges Bischoff)
Jean-Michel MEHL, « Francis Rapp : un historien amoureux », Mélanges offerts à Francis Rapp, Revue d’Alsace, n°122, 1996, p. 5-8.
Pierre RACINE, « Hommage à Francis Rapp », Revue des Sciences religieuses, 69-2, 1995, p. 143-145.
François-Joseph FUCHS, « Francis Rapp », Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne, fasc. 30, 1997, p. 3083-3084.
La bibliographie des travaux de Francis Rapp publiée dans le n°122 de la Revue d’Alsace sera complétée dans le volume à paraître en 2020.