La fabrique des archives et des institutions (du Moyen Âge à 1870)

Axe 1 SSC Appel à communication

 

Journées d’études
La fabrique des archives et des institutions (du Moyen Âge à 1870)

 

Université de Strasbourg – Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg – Archives d’Alsace (sous réserve)
16-17 novembre 2023

 

Organisées par des historiens et historiennes médiévistes et modernistes travaillant dans l’axe « Sources, Éditions, Corpus » du laboratoire ARCHE à l’Université de Strasbourg, ces journées d’études souhaitent réunir des chercheuses et chercheurs s’intéressant aux fonds d’archives antérieurs à 1870, séries désignées par les archives institutionnelles contemporaines comme « closes », « figées », « anciennes », « révolutionnaires et modernes »1.

Ces lieux d’archives que nous fréquentons, et au-delà, toute institution – comprise ici comme une « organisation », repérable par une personnalité juridique associée à un nom propre, une démarcation entre un dedans et un dehors, un corps de règles et une participation consciente de ses acteurs (Fossier et Monnet 2009 ; Buton 2011) – ont l’avantage d’offrir a priori un cadre d’étude commode : elles sont productrices et conservatrices d’archives (Revel 1995) ; leurs inventaires invitent à approcher les fonds par producteurs, tels qu’ils furent perçus par leurs « inventeurs » aux temps de naissance de l’archivistique contemporaine (fin xviiie-xixe siècle). Un des pièges est alors d’envisager les fonds conservés comme le miroir de l’institution dont elles émanent. Le récit historique risque d’être téléologique et de ne conduire qu’à démontrer l’efficacité croissante d’institutions tenues pour immuables (Richet 1973, p. 67-68). Dans leur pratique, les historiens des temps anciens savent aussi combien il faut passer outre les catégories archivistiques modelées sur le temps long pour reconstituer la production scripturaire d’une époque donnée.

Puisqu’« […] il n’y a pas d’archives sans institutionnalisation et sans déplacement » (Nathalie Piégay-Gros, 2014) et pour mettre à distance le caractère « clos », « achevé » prêté aux archives anciennes, dans ces journées d’études, il s’agira de saisir à la fois les dynamiques qui interviennent dans la transmission et la conservation des écrits formant archives et la dimension processuelle de fabrique des institutions (Guéry, 2003). Par leurs activités archivistiques, les acteurs des temps passés ont affermi les institutions (Lemaigre-Gaffier et Schapira 2019). L’intérêt porté aux liens entre archives et institutions est une manière de dénaturaliser les unes et les autres, voire d’interroger de manière réflexive la manière dont l’histoire institutionnelle a pu se saisir des archives comme d’une évidence.

 

Afin de dépasser la naturalisation des archives et des institutions, nous proposons de mettre l’accent sur les dynamiques de transmission archivistique.

Le premier volet s’intéressera aux politiques d’archivage, quifondent et traduisent les dynamiques de mise en forme et de transmission. Des travaux récents ont montré les bénéfices qu’il y avait à étudier les constructions archivistiques au sein d’institutions qui n’étaient pas dévolues au premier chef à l’archivage (Chapron et Henryot 2023) : on s’intéressera donc ici aussi bien à une université, une abbaye, une municipalité, qu’à un secrétariat d’État ou une cour souveraine, etc.

À défaut de règlements explicites qui définissent ce que l’on garde et ce que l’on jette, qui décide de garder et qui garde, où et comment on ordonne etc., des inventaires d’archives contextualisés peuvent exprimer en creux ces processus. S’y ajoutent, pour l’époque moderne, des mémoires historiques, des histoires d’archives. L’examen sera attentif aux classements et catégories créés, mais aussi à ce qu’ils induisent en matière de destructions, d’occultations. On pourra aussi considérer les hiérarchisations produites par les supports, les contenants et les lieux de conservation.

 

Un deuxième volet considérera les individus, « producteurs » et/ou archivistes, et leur place dans les constructions archivistiques. Les « producteurs » dont l’archivistique fait aujourd’hui la référence principale des groupements d’archives2 ne se dissocient pas nécessairement des archivistes aux temps médiévaux et modernes. Qui sont au fond les individus qui ont pris en charge les activités d’archivage ? Quels étaient leurs statuts ? En toutes circonstances, parce qu’il y a un « pouvoir de l’archive » (Schenk, 2014), archiver les constitue, en tant qu’individus ou que membres d’une organisation, autant qu’ils constituent les archives. Il faudra replacer leur action dans ses logiques sociales (où l’archivage reste réalisé parmi d’autres tâches), politiques (une activité prise enfin dans des rapports de pouvoir dans lesquels étaient impliqués ses auteurs), et enfin, savantes (une activité archivistique et historiographique). Les contributions pourront faire une place aux compétitions et rapports de pouvoir entre acteurs que traduisent ou induisent les transmissions documentaires.

 

Enfin, la construction archivistique et son rôle dans les processus d’institution(-nalisation) (Lamazou Duplan 2021) passent par les usages qui en sont faits en leur temps ou sur le temps long. L’éventail en est large : usages administratifs, mémoriels, historiens, politiques, sociaux, etc. S’il est courant, dans le champ du contemporain, d’avoir à lutter face aux institutions pour la communication d’archives ou de mettre au jour des expurgations d’archives opérées par leurs gestionnaires lors de changements de pouvoir, de tels phénomènes restent à inventorier à l’échelle des temps médiévaux et modernes.

 

Les propositions de communication d’une demi-page accompagnée d’un titre et d’une bibliographie succincte sont à envoyer jusqu’au 7 juillet 2023 à l’adresse jdeloye[at]unistra.fr accompagnées d’un court curriculum vitae des candidat.e.s comprenant leurs coordonnées.

 

Comité d’organisation

Thomas Brunner, maître de conférences en Histoire médiévale, Université de Strasbourg, UMR3400.
Laurence Buchholzer, maîtresse de conférences en Histoire médiévale, Université de Strasbourg, UMR 3400
Juliette Deloye, maîtresse de conférences en Histoire moderne, Université de Strasbourg, UMR 3400

 

Bibliographie indicative

Étienne Anheim, Olivier Poncet, « Fabrique des archives, fabrique de l’histoire », Revue de Synthèse, n° 125, 2004, p. 1‐14.

François Buton, « Histoires d’institutions », Raisons politiques, n° 40, 2011, p. 21‑41.

Emmanuelle Chapron, Fabienne Henryot, Archives en bibliothèques (xvie-xxie siècles), Lyon, ENS Éditions, 2023.

Pierre Chastang, « L’archéologie du texte médiéval. Autour de travaux récents sur l’écrit au Moyen Âge », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 63, n° 2, 2008.

Liesbeth Corens, Kate Peters, Alexandra Walsham (ed.), Archives and information in the Early Modern World, Oxford, British Academy Publications, 2018.

Maria Pia Donato, Les archives du monde. Quand Napoléon confisqua l’histoire, traduit par Carole Walter, Paris, PUF, 2020. Traduction de L’archivio del mondo-Quando Napoleone confiscò la storia (Rome, Laterza, 2019).

Arnold Esch, “Überlieferungs-Chance und Überlieferungs-Zufall als methodisches Problem des Historikers”, dans idem, Zeitalter und Menschenalter. Der Historiker und die Erfahrung vergangener Gegenwart, Munich, Beck, 1994, p. 39-69.

Arnaud Fossier, Éric Monnet, « Les institutions, mode d’emploi », Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 17, 2009, p.7‐28.

Markus Friedrich, Die Geburt des Archivs: Eine Wissensgeschichte, München, De Gruyter Oldenbourg, 2013.

Randolph C. Head, Maria de Lurdes Rosa (ed.), Rethinking the Archive in Pre-Modern Europe. Family Archives and their Inventories from the 15th to 19th Century, Lisbonne, IEM, 2015.

Alain Guery, « Institution. Histoire d’une notion et de ses utilisations dans l’histoire avant les institutionnalismes », Cahiers d’économie Politique, n° 44-1, 2003, p. 7‐18.

Véronique Lamazou-Duplan (dir.). Les archives familiales dans l’Occident médiéval et moderne : Trésor, arsenal, mémorial. Nouvelle édition [en ligne]. Madrid : Casa de Velázquez, 2021.

Pauline Lemaigre-Gaffier et Nicolas Schapira, « Introduction », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], | 2019, mis en ligne le 30 avril 2019.

Joseph Morsel, « Du texte aux archives : le problème de la source », dans Eliana Magnani (éd.), Le Moyen Âge vu d’ailleurs, hors-série no 2 du Bulletin du centre d’études médiévales, Auxerre, 2008.

Nathalie Piégay-Gros, « Récits d’archives », Ecrire l’histoire 13-14, Dossier Archives coordonné par Sophie Coeuré et Claude Millet, 2014.

Olivier Poncet, « Archives et histoire : dépasser les tournants », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 74, n° 3-4, 2019, p. 711-743.

Jacques Revel, « L’Institution et le social [1995] », dans Un parcours critique : douze exercices d’histoire sociale, Paris, France, Galaade, 2006.

Denis Richet, La France moderne, l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1973.

Dietmar Schenk, « Pouvoir de l’archive et verité historique », Écrire l’histoire 13-14, Dossier Archives coordonné par Sophie Coeuré et Claude Millet, 2014, p. 35-54.

 

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1 La partition chronologique épouse celle des séries en Alsace et en Moselle, où les « séries modernes » sont closes en 1870.

2 Archives : « Ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activités » (art. L.211-1 du Code du patrimoine) quels que soient leur type et leur support, créé ou reçu de manière organique et utilisé par une personne physique ou morale dans l’exercice de ses activités ». Producteur : « personne physique ou morale, publique ou privée, qui a produit, reçu et conservé des archives dans l’exercice de son activité. »