Présentation
Ce projet a pour ambition de prolonger et de renouveler les réflexions et travaux entrepris par l'UMR3400au cours des années 2005-2008.
Le thème « Frontières et transfrontières » sera envisagé dans une acception la plus large possible, de manière à le distinguer clairement d'une simple approche géopolitique. On s'attachera en particulier à étudier les frontières en tant que facteur d'identité, de représentation intra-européenne des différences (entre nations ou entre cultures). Il s'agit de réfléchir sur les pratiques sociales (échanges commerciaux, rapports familiaux) et les modalités de la domination étatique (administration de la justice, des barrières douanières et de la fiscalité) qui contribuent à engendrer ou à alimenter la perception des frontières en termes linguistiques et culturels. On n'oubliera pas que la ville européenne, jusqu'à une époque très récente, possédait des frontières (octrois, péages, privilèges fiscaux) autres que celles lisibles dans le paysage lui-même, et on cherchera à explorer les modalités de construction de celles-ci, comme celle de leur destruction. Enfin, la frontière au sens de « zone-frontière » (c'est-à-dire l'acception des termes anglais frontier ou border, par opposition à celui de boundaries qui désigne les lignes-frontières à proprement parler) mérite d'être analysée pour les périodes médiévale et moderne.
Cela constituera un point de jonction fructueux avec les thèmes de « L'Europe et ses marges, entre mise à distance et intégration », qui feront l'objet d'un programme quadriennal labellisé par la MISHA et porté par l'UMR3400à partir de janvier 2009 jusqu'à la fin de 2012. En somme, il s'agira d'un questionnement sur la réalité des découpages et le potentiel de clivage qu'ils possèdent par eux-mêmes, de même que sur le processus qui conduit à leur mise en place et à leur définition. On envisagera par exemple l'élaboration et la mise en application du concept de frontière linéaire en tant que bornage ou frontière cadastrale, « mesurant » la propriété foncière tout comme l'étendue du territoire de l'Etat-nation : bref, en tant que procédure d'objectivation mobilisant l'expertise de corps savants (géomètres, arpenteurs, cartographes) et supposant des activités de terrain (relevés, mesures, etc), voire faisant l'objet de procédures de contestation ou d'arbitrage. On se situerait ainsi dans le prolongement des synthèses données par Daniel Nordman sur l'histoire des frontières et la formation du territoire français, ou par Christian Jacob et Patrick Gautier-Dalché sur l'histoire de la cartographie.
Parallèlement, le thème du franchissement des frontières devra aussi être envisagé. Toute frontière est une représentation et une expérience vécue par des acteurs sociaux, par conséquent elle est poreuse davantage que rigide, faite de transactions et d'accommodements plutôt que de partages bien tranchés. Une frontière est faite pour être franchie, en somme, et n'existe presque que par cette opération. On poursuivra donc des recherches depuis la simple mise en évidence du phénomène en dépit de l'existence de frontières réputées hermétiques au Moyen Âge (frontière islam/chrétienté ; frontières entre Etats en conflit...), jusqu'aux procédures concomitantes, mais aussi parfois plus tardives, de contrôle des flux et d'identification des personnes et de surveillance de la contrebande, des allées et venues, et des réseaux et points d'appui que celles-ci supposent. En bref, on touchera là certains des aspects essentiels de la construction progressive de l'Etat moderne en Europe. Les frontières doivent en dernier lieu être analysées comme lectures du paysage, expérience du passage et de la rupture (qu'il s'agisse ou non d'obstacles naturels), ou simplement comme représentation mentale, en suivant les pistes tracées par le géographes Brian Harley dans ses études des mental maps. Pourraient s'y rattacher nombre de chercheurs intégrés à l'actuelle composante Mobilité-Echanges-Transferts ainsi que des spécialistes du monde rhénan et des historiens d'art intéressés par les voyages d'artistes et par les théories du paysage.