Mesurer, cartographier, décrire

Mesurer, cartographier, décrire : administrateurs et ingénieurs français à la découverte d'une province. Le cas de l'Alsace entre sa réunion à la France et les grandes enquêtes de statistique descriptive

Programme MISHA coordonné par Isabelle Laboullais - 2010-2012

 

Ce projet propose de dresser un inventaire des documents descriptifs (textuels et cartographiques) produits par les administrateurs et les ingénieurs français lors de leur séjour ou de leur passage en Alsace entre la fin du XVIIe et le début du XIXe siècle. Certains de ces mémoires administratifs sont évidemment déjà bien connus et ont été largement utilisés par les historiens en raison des informations qu’ils contiennent sur l’Alsace à la fin de l’époque moderne, c’est le cas des mémoires de l’intendant J. de La Grange, de l’ingénieur militaire Guillin, ou encore de Peloux qui était secrétaire de l’intendant Feydeau de Brou. Pourtant, très souvent, parallèlement à ces mémoires, des cartes ont été dressées pour figurer le territoire alsacien. Malheureusement, les principes de conservation mis en oeuvre dans la plupart des dépôts ont souvent conduit à dissocier le mémoire et la carte. Nous voudrions ici reconstituer ces ensembles documentaires cohérents, au moins de manière virtuelle, grâce à la numérisation. Par ailleurs, avec cet inventaire, nous voudrions attirer l’attention sur d’autres textes moins connus, ceux des ingénieurs des Ponts et Chaussées, des ingénieurs des Mines, des ingénieurs militaires qui répondent à des commandes plus précises que la description exhaustive d’une province mais qui, par leur statut (souvent ces textes ont été produits pour être mis au service d’une action, qu’il s’agisse du réseau routier ou de l’exploitation des ressources naturelles), contribuent à construire l’image d’un territoire autant qu’à façonner ce territoire.

La base de données constituée à partir de ce travail de dépouillement sera à la fois une ressource patrimoniale puisqu’elle permettra de localiser les documents répertoriés dans les divers dépôts où ils sont aujourd’hui conservés, mais aussi une « boîte à outils » numériques qui mettra les documents numérisés à la disposition notamment des archéologues et des géographes qui ont souvent recours à des cartes anciennes lorsqu’ils étudient les modalités de l’occupation de l’espace dans le passé. Pour savoir ce que l’on peut demander aujourd’hui à une carte, il est indispensable de savoir pourquoi et comment elle a été dressée. Cette perspective heuristique pourra donner lieu à la publication d’un guide de recherche sur l’Alsace mise en carte.

Ce corpus sera par ailleurs le point de départ d’une étude sur les savoirs administratifs du territoire et sur les outils créés par une administration centrale pour connaître l’une de ses provinces. Afin de saisir la manière dont l’identité d’une province, puis d’une région, se constitue, nous voudrions repérer comment les auteurs de mémoires se copient les uns les autres. Pour cela, nous proposons de transcrire quelques uns de ces mémoires et d’identifier les formulations, les images et les thèmes qui se perpétuent et ceux qui, au contraire sont abandonnés ou créés, à quels moments ils apparaissent ou disparaissent, etc. Nous voudrions également organiser des ateliers de recherche pour étudier les savoir-faire descriptifs mobilisés, la construction et la circulation des images territoriales, pour comprendre comment ces documents produisent un territoire autant qu’ils le décrivent. Conduits à partir d’un corpus géographiquement limité, ces ateliers permettront de poser des hypothèses de travail pour une enquête plus vaste sur les savoirs administratifs du territoire.

Vu sous cet angle, le cas de l’Alsace, observée juste après sa réunion à la France, constitue un laboratoire particulièrement intéressant pour évaluer les tentatives d’uniformiser le territoire d’un Etat, pour identifier les moyens grâce auxquels les écrits des administrateurs expriment une cohérence territoriale spécifique et créent ce que nous désignons aujourd’hui comme une région. Ce sont donc les rapports que les régions entretiennent avec leur Etat national, ainsi que des jeux d’acteurs administratifs qui seront ici questionnés.