Résumé :
À partir de 1733 la Chancellerie entreprit de constituer des états semestriels de la poursuite des crimes dans tout le royaume. Les « Etats des crimes dignes de mort ou de peines afflictives » remontent à une prescription de la grande Ordonnance criminelle de 1670 qui, semble-t-il, ne fut jamais mise en œuvre. Mais au XVIIIe siècle, dans le cadre des réformes de la justice, le Chancelier d’Aguesseau ordonna en 1733 que dans chaque généralité soient recensées toutes les affaires criminelles graves, jugées ou en cours afin de contrôler l’activité des juges. Cette entreprise, malgré les résistances et l’hostilité qu’elle rencontra auprès des officiers de justice, fut immédiatement réussie dans une partie du royaume et poursuivie jusqu’aux premiers mois de l’année 1790. De nombreux documents de cette enquête sont parvenus jusqu’à nous. Au niveau local, tout d’abord, les intendants ont conservé des doubles des états des crimes, les minutes ainsi que la correspondance qu’ils ont pu entretenir à ce sujet avec la Chancellerie et leurs subdélégués ainsi qu’avec les procureurs ou les juges. La Chancellerie étant à l’initiative de cette entreprise, elle a centralisé tous les résultats que celle-ci a produits et bien que la Révolution française ait fait disparaître une grande partie de ses archives, des registres compilant les états des crimes par ressort de parlement ou de cours équivalents voire de juridictions inférieures ont néanmoins été conservés.
Cette statistique judiciaire est comme un précédent au Compte général criminel propre au XIXesiècle, et si elle n’en eut pas la précision, elle permit néanmoins à l’État d’accéder à un degré d’information inédit sur la justice et la criminalité. Cette source incroyable permet de mener une réflexion générale sur l’Etat et l’administration au XVIIIe siècle et par là même de la société. Elle permet notamment de toucher au concept de monarchie administrative, mais aussi d’éclairer les pratiques de la bureaucratie et des enquêtes. Enfin, elle est une source extraordinaire pour l’histoire de la violence et de la justice puisque qu’elle permet d’embrasser la grande criminalité grâce à une statistique, certes incomplète et avec des défauts mais réalisée sur les mêmes critères et à l’échelle de tout le royaume durant près de soixante ans.