Argumentaire
Au cours du XIXème siècle, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879) incarne une de ces figures qui dressent à travers leurs expérimentations de nouvelles pratiques de restauration. L’architecte-théoricien les formulera dans des textes qui jalonneront sa carrière. Parallèlement, la réappropriation des monuments anciens est à l’origine de sa réflexion sur l’architecture de son temps ; il voit dans l’architecture gothique les outils didactiques nécessaires pour la création d’une architecture nouvelle, rationnelle, adaptée au siècle de l’industrie. Tout au long de la carrière de l’architecte, du restaurateur ou de l’enseignant, un cercle de confrères se constitue, autour de lui et de ses idées, et développe les réflexions menées par le « maître » : Viollet-le-Duc.
D’abord enseignant de composition d’ornement à l’École royale gratuite de dessin de 1834 à 1850, il est ensuite sujet à deux mésaventures à l’École des beaux-arts : l’atelier libre rapidement avorté en 1856 et sa tentative de réforme en 1864, reçue par l’agitation des élèves entraînés par des enseignants opposés aux visions du représentant de l’architecture gothique. Il y donnera sept de ses cours, du 29 janvier au 18 mars 1864. À la suite de ce second échec à l’École des beaux-arts, il soutient Émile Trélat dans la fondation de l’École centrale d’architecture en 1865. À travers son enseignement oral et à travers ses publications - de ses ouvrages à ses articles dans des revues s’adressant aux professionnelles en activité -, Viollet-le-Duc a transmis son savoir et élaboré une pédagogie de l’architecture. Une question reste de mise ; a-t-elle fait école ? William Le Baron Jenney (1832-1907), élève de l’École centrale des arts et manufactures se revendique de l’École violletleducienne dans « l’invention » des gratte-ciels à Chicago. Enseignant à l’Université de Michigan, il cherche à importer la pédagogie de l’architecte français et achète pour la bibliothèque de l’établissement les ouvrages nécessaires à son propre enseignement, dont les Entretiens, traduit en anglais par Henry van Brunt (1832-1903). Si la place de la pratique et du chantier est centrale dans l’œuvre de Viollet-le-Duc, elle reste à explorer dans son enseignement. L’apprentissage « sur le tas », comme sur le chantier-école de la Sainte-Chapelle, fait partie des inépuisables méthodes pédagogiques en architecture. Les expérimentations liées à la nouvelle discipline qu’est la restauration, trouvent un lieu idéal de transmission des savoirs dans le chantier, identifiant les architectes du XIXe siècle à une communauté de maçons du moyen-âge se transmettant des secrets l’expérience commune, de praticien à praticien.
La journée d’étude Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc et ses élèves n’a pas l’ambition de revenir sur la carrière et les réalisations de Viollet-le-Duc déjà largement explorées par les travaux de Jean-Michel Leniaud, Françoise Bercé, Arnaud Timbert, Martin Bressani ou Laurent Baridon, et lors de nombreux évènements comme des expositions, journées d’étude ou colloques. La journée d’étude proposée s’inscrit en revanche dans la continuité de celle organisée par l’école de Chaillot le 11 décembre 2014 sous le titre Viollet-le-Duc, enseignant qui regroupait notamment les communications de Jean-Paul Midant sur la diffusion de l’enseignement de Viollet-le-Duc, Frédérique Seitz sur l’école spéciale d’architecture et Benjamin Mouton sur l’actualité de l’enseignement de Viollet-le-Duc à l’école de Chaillot. Ici, on s’attachera plus particulièrement à explorer les effets de ses enseignements à travers les travaux et carrières de ses collaborateurs et élèves. Le terme d’élève est ici à prendre au sens large ; de l’élève ayant assisté à des enseignements professés par l’architecte dans l’un ou l’autre des établissements l’ayant accueilli, à des figures dont les méthodes d’enseignement, de restauration ou de construction découlent, directement ou indirectement, d’idées développées par l’architecte-théoricien, en passant par des personnalités s’autoproclamant de l’école violletleducienne.
Anatole de Baudot au Trocadéro, Edmond Duthoit à Abbadia, Lucjan Wiganofsky à Pierrefonds, Guiraud Cals à Carcassonne, Léon Parvillé, Eugène Millet, Lucien Magne qui côtoie Viollet-le-Duc pendant le siège de Paris, Paul Abadie, Édouard Corroyer, Paul Gout son biographe, son propre fils Eugène- Louis Viollet-le-Duc, Victor Marie Charles Ruprich-Robert suppléant de l’architecte à l’École gratuite de dessin, Hector Guimard, William Le Baron Jenney, Maurice Ouradou son gendre, André Lecomte du Nouÿ en Roumanie, Léon Gaucherel élève de Viollet-le-Duc à l’École gratuite de dessin et compagnon de voyage ... ils sont nombreux à s’inscrire, au moins pour un temps, dans le sillage de Viollet-le-Duc ou à se réclamer de sa pensée. L’héritage de « seconde main », notamment chez les architectes praticiens qui n’ont que peu ou pas connu Eugène Viollet-le-Duc de son vivant mais ont reçu ses enseignements par l’intermédiaire de ses premiers élèves pourra être également exploré. Comment identifier par exemple, la présence d’une pensée violletleducienne dans la pratique des Architectes en chef des monuments historiques dont le corps est créé par le décret du 26 janvier 1892 et le premier concours de recrutement organisé en 1893-1894 ?
Partant de la liste publiée dans le catalogue de l’exposition de 1980, l’étude des carrières de ces personnalités qui reçoivent l’enseignement du « maître » et s’en émancipent, pourrait révéler la transmission de savoirs, de compétences, de processus de création d’un praticien à l’autre, de générations en générations. L’objectif de cette journée d’étude est de recenser et d’analyser l’héritage de Viollet-le-Duc à travers les carrières qu’il a influencées et de définir ainsi la nature et la portée de ses enseignements, la place de ses disciples, élèves, collaborateurs, alter égos dans le paysage architectural de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.
Les travaux de recherche exposés au cours de cette journée d’étude pourront s’inscrire dans différents axes, tels que :
Les enseignements de Viollet-le-Duc, au sein d’institutions académiques (École gratuite de dessin, École des beaux-arts, École centrale d’architecture) ou à travers ses écrits dans lesquels il transmet tant sa théorie de la restauration, qu’un processus de projet et un catalogue de formes architecturales issues du Moyen Âge, que l’on peut classer en trois catégories ; les dictionnaires (comme le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle), les ouvrages destinés à la jeunesse (comme Histoire d’un dessinateur, comment on apprend à dessiner) et les monographies (comme La Cité de Carcassonne (Aude)).
Le chantier comme lieu d’enseignement et d’expérimentation intégrant les savoirs, les représentations et les pratiques pour intervenir sur les monuments historiques. On examinera également les transferts de connaissances et d’hommes depuis le chantier de restauration vers les chantiers de construction.
Les relations entre Viollet-le-Duc et ses collaborateurs dans la pratique professionnelle, l’autonomie qu’il leur octroie ou non, à la fois sur ses propres projets et lorsqu’il recommande des architectes pour une mission en France ou à l’étranger.
Les carrières professionnelles des élèves de Viollet-le-Duc, en mettant l'accent sur le domaine de la restauration et de la construction. Car si Viollet-le-Duc n'a pas beaucoup construit en comparaison du nombre de ses chantiers de restaurations, ses élèves ont pu construire, certains en quantité. On cherchera à retracer les présences et absences de la pensée violletleducienne dans les œuvres de ses cercles d’influence.
D’une génération à l’autre, les élèves deviennent eux-mêmes enseignants. Ses disciples ont enseigné à l’École des beaux-arts ou dans d’autres écoles comme Anatole de Baudot qui a fondé le
cours du Trocadero devenu École de Chaillot. L’analyse des enseignements délivrés par les élèves de Viollet-le-Duc permettra de retracer les éléments qui ont fait école dans sa transmission ou au contraire, l’émancipation de ses élèves.
Réponses
Les réponses à l’appel à communication sont à envoyer avant le 29 avril 2019 à l’adresse email (elevesvld@gmail.com).
Chaque réponse comportera :
- Une proposition de 3 000 signes maximum en français (comportant un titre provisoire, une bibliographie raisonnée d’une dizaine de références et la mention des sources sur lesquelles s’appuiera la communication)
- Un court CV de.s l’auteur.e.s de 1500 signes
Les propositions seront expertisées par le comité scientifique.
Les réponses aux chercheur.e.s seront communiquées le 17 juin 2019.
Les chercheur.e.s séléctionné.e.s seront invité.e.s à rendre l’article au format « draft » pour le 30 novembre 2019 pour permettre l’élaboration du programme de la journée.
Cet envoi comportera :
- L’article « draft » avec son titre définitif,
- Un résumé définitif de l’article 2 000 signes,
- Un CV de.s l’auteur.e.s de 1500 signes éventuellement réactualisé.
Comité scientifique
Arlette Auduc, agrégée d’histoire et docteure de l’EPHE, conservatrice en chef du patrimoine (H), correspondante du Comité d’histoire du ministère de la Culture
Martin Bressani, professeur en histoire de l’architecture et directeur de l’École d’architecture de l’Université McGill (Montréal)
Anne-Marie Châtelet, professeure d'histoire et de culture architecturale à l’Ensa Strasbourg, EA3400 Arche, Université de Strasbourg
Benjamin Mouton, architecte en chef et inspecteur des monuments historiques (H), professeur associé (H) de l’École de Chaillot
Arnaud Timbert, professeur des universités, Histoire de l’art médiéval, Université de Picardie-Jules Verne
Mercedes Volait, directrice de recherche au CNRS
Jean-Michel Leniaud, directeur d’études EPHE
Comité d’organisation
Florence Lafourcade, architecte DE, doctorante en histoire de l'architecture (ARCHE, Université de Strasbourg)
Mohammed Hadjiat, architecte DE, doctorant en histoire de l’architecture (ARCHE, Université de Strasbourg / InVisu, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Bérénice Gaussuin, architecte DESA, du patrimoine, doctorante en architecture (LIAT, ENSA Paris-Malaquais / Université Paris-Est)
Institutions organisatrices
Laboratoire Arche (Université de Strasbourg)
Laboratoire InVisu (CNRS/INHA)
Laboratoire LIAT (ENSA Paris-Malaquais / Université Paris-Est)
École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg
Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine
Lieu
Institut National d’Histoire de l’Art
École nationale supérieure d’architecture de Paris Malaquais
Calendrier
Lancement de l’appel à communication : 18 février 2019
Réception des réponses : 29 avril 2019
Réponses aux chercheur.e.s : 17 juin 2019
Réception des articles « draft » : 30 novembre 2019
Journée d’étude : 20 et 21 février 2020