Appel à communications
« De l’immeuble à la petite cuillère », l’architecte, le décor, l’objet
Colloque international
organisé par l’Université de Haute-Alsace (UHA) et de Strasbourg (UNISTRA), les laboratoires de recherche ARCHE et CRESAT, et la Haute École des Arts du Rhin (HEAR),
Jeudi 21 et vendredi 22 mars 2019, Strasbourg et Mulhouse.
André Chastel, en écrivant que le champ d’intervention de l’inventaire des richesses artistiques de la France s’étendait de « la cathédrale à la petite cuillère », entendait inclure tous les objets appartenant à l’activité humaine. En s’appropriant et en détournant cette expression, maintes fois reprises[1], ce colloque cherche à aborder l’implication de l’architecte dans l’idée de globalité du projet architectural.Dans les traités d’architecture du XVIIIe siècle, apparaît l’idée d’une unité décorative dans les espaces d’habitation qui inclut l’ameublement. Néanmoins, il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que s’impose l’adéquation entre l’habitat et son décor intérieur – des revêtements muraux au mobilier, en passant par les arts de la table.Depuis l’énoncé de William Morris, « la véritable unité de l’art est un bâtiment avec tout son mobilier et toutes ses ornementations[2] », les architectes et les décorateurs n’ont cessé de revendiquer cette conception de la création à laquelle parvinrent les acteurs de l’Art nouveau avec leur idéal de l’œuvre d’art total.Nombreux, en effet, sont les architectes qui, depuis la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à nos jours, ont développé des projets qui relèvent de la décoration intérieure ou de l’objet mobilier[3], à l’image de Charles Percier[4]ou de Zaha Hadid,dont la forme organique de certains de ses meubles rappelle celle de son architecture[5]. On pourrait également citer Jean Nouvel qui, en 1995, créa Jean Nouvel Design (JND), un atelier parallèle à sa société d’architecture[6]. Inversement, certains acteurs du monde du Design, par leur traitement de l’espace, s’approchent du domaine de prédilection de l’architecte à des degrés divers, on peut notamment citer Philippe Starck[7] ou encore les frères Ronan et Erwan Bouroullec[8] et Matali Crasset.
Par-delà la figure de l’architecte-décorateur, pourront également être évoquées les relations que l’architecte entretient avec le décorateur dans le cadre d’un projet précis. L’œuvre ainsi produite, fruit de la collaboration étroite de deux artistes aux compétences différentes et complémentaires, se différencie-t-elle de celle pensée dans sa globalité par le seul architecte ? Que dire des relations entre ces acteurs : comment se passe la collaboration ? Quelle est la répartition des tâches ? Une hiérarchie se met-elle en place ? Quelle est la place du commanditaire – qu’il soit privé ou public – dans la répartition des rôles ?
Pourra également être évoqué le décorateur faisant œuvre d’architecte – ou usant du titre d’architecte, à l’exemple, pour n’en citer que quelques-uns, d’Armand Albert Rateau[9], qui s’associa en 1921 avec Jeanne Lanvin pour fonder la société « Lanvin-décoration », ou de Pierre Chareau, dont Francis Jourdain affirmait qu’il « (…)n’a pas cessé – quelle que fût la charge par lui assumée – de faire œuvre d’architecte. Ses dons d’invention, il les a appliqués, non pas à décorer la demeure, mais bien plutôt à la penser, à l’organiser en fonction de l’occupant (…)[10] ». Ici Jourdain proposait en creux une répartition des tâches habituellement dévolues à l’architecte et au décorateur, accordant au second un rôle somme toute accessoire dans la réalisation de l’espace domestique.
L’objectif de ce colloque est de saisir l’implication des architectes dans la conception de l’aménagement intérieur et de l’ameublement du XVIIIe siècle à nos jours, en contribuant ainsi à une meilleure connaissance de la profession d’architecte, de ses pratiques, de la formation qui permet d’y accéder ou de la constitution de ses prérogatives au cours de la période contemporaine[11]. Cet appel à communications fait suite à plusieurs manifestations scientifiques consacrées à la question de la figure de décorateur et à son rôle dans l’aménagement de l’architecture et à la relation entre le décor et l’architecture à l’époque moderne[12]. Ce colloque entend donc poursuivre les recherches autour du métier de décorateur, autant dans sa formation que l’exercice de son activité.
Dans le domaine de la formation, par exemple, il sera intéressant d’évoquer les figures ayant reçu une formation initiale différente de l’activité qui les rendit célèbres. Formé en tant que peintre, Henry van de Velde[13] se fit connaitre comme artiste décorateur avant de se consacrer à l’architecture[14]. Ferronnier d’art, Jean Prouvé[15]créa des œuvres dont les structures métalliques témoignent de recherches que l’on retrouve dans ses meubles et ses architectures. Toujours concernant la formation, on pourra s’interroger sur le rôle de l’architecte dans la création et la pédagogie de nouvelles institutions destinées à former les artistes chargés du décor et du meuble. On pourra notamment s’interroger sur l’influence que l’école du Bauhaus – créée par l’architecte Walter Gropius en 1919 pour réformer l’espace de l’habitation,elle ne dispensa un enseignement de l’architecture que très tardivement – a eue sur la création ou la réforme d’écoles d’arts appliqués en Europe. À l’inverse, on pourra s’interroger sur la prise en compte du décor intérieur dans l’enseignement dispensé aux architectes étudiant à l’École des Beaux-Arts et dans les écoles d’architecture régionales.
Les communications pourront en outre s’intéresser à des études de cas ainsi qu’à des mouvements ou à des écoles d’art et d’architecture au sein desquels se sont développées des théories et une mise en pratique.
Parmi les thématiques qui peuvent être abordées dans les propositions, nous suggérons les suivantes :
- Les métiers : architecte, architecte d’intérieur, ensemblier, décorateur, designer…
- Le vocabulaire et l’impact des différentes appellations
- La diffusion par les revues, l’importance du décor dans les revues d’architecture
- La formation :l’apparition des "écoles d’art appliqués" en Europe ; la question du décor intérieur dans l’enseignement des écoles d’architecture.
Les propositions (en français ou en anglais) sont à envoyer (environ 300 mots) avant le 15 juin 2018, accompagnées d’une petite bio-biblio aux adresses suivantes :
hdoucet[at]unistra.fr etaziza.gril-mariotte[at]uha.fr
Calendrier :
- Rendu des propositions : 15 juin 2018
- Réponse : début septembre 2018
- Rendu des projets d’articles : début 2019
- Colloque : 21 et 22 mars 2019
- Rendu des articles pour la publication : fin avril 2019
Comité scientifique :
Jérémie Cerman, Maître de conférences en histoire de l'art contemporain, Sorbonne Université
Anne-Marie Châtelet, Professeur d'histoire et culture architecturales, École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg
Rossella Froissart, Professeur histoire de l’art contemporain université Aix-Marseille
Gilles Marseille, Maître de conférences en histoire de l'art contemporain, Université de Lorraine
Christine Peltre, Professeur d'histoire de l'art contemporain, Université de Strasbourg.
Comité d’organisation :
David Cascaro, directeur de la Haute École des Arts du Rhin
Hervé Doucet, Maître de conférences en histoire de l'art contemporain, Université de Strasbourg (Unistra-ARCHE)
Aziza Gril-Mariotte, Maître de conférences en histoire de l'art, Université de Haute-Alsace (UHA-CRESAT).
[1] Citons l’ouvrage de Nathalie Heinich, La fabrique du patrimoine, de la cathédrale à la petite cuillère, Ed. de la Maison des Sciences de l’homme, 2009.
[2] Cette définition est donnée lors de la conférence L’Art et l’Artisanat aujourd’hui, à Edimbourg, le 30 octobre 1889 pour « l’Association nationale pour le progrès de l’art ».
[3] L’exposition qui s’est tenu, du 18 avril au 31 juillet 2016, à la StanzedelVetro de Venise intitulée Il Vetrodegliarchitetti. Vienna 1900-1937, montre le récent intérêt international pour un domaine particulier de l’objet d’art conçu par l’architecte. On peut également évoquer le colloque qui s’est tenu à Houston en 2016 sur le thème : “A Sense of Proportion: Architect-Designed Objects, 1650–1950”.
[4] Jean-Philippe Garric, Vincent Cochet, Charles Percier (1764-1838). Architecture et design, Paris, RMN, 2017.
[5] L’activité de ZahaHadid s’étendit jusqu’au domaine de la mode lorsqu’elle conçut des modèles de chaussures pour femmes.
[6] Un article consacré à Jean Nouvel Design est paru : Maxime Gasnier, « Jean Nouvel Design, de l'architecture à l'objet radicalisé », archistorm, n°72, mai-juin 2015, p. 136-140.
[7] Franco Bertoni, Philippe Starck, l’architecture, Bruxelles, Mardaga, 1994.
[8] Deux des quatre expositions qui leur ont été récemment consacrées à Rennes renvoient clairement au monde de l’architecture : Rêveries urbaines et le Kiosque installé dans la cour du parlement de Bretagne (du 25 mars au 28 août 2016).
[9] Hélène Guéné-Loyer, Décoration et haute couture. Armand Albert Rateau pour Jeanne Lanvin, un autre Art déco, Paris, Les Arts décoratifs éditions, 2006.
[10] Francis Jourdain, préface pour le livre Un inventeur… L’architecte Pierre Chareau, Paris, Editions du Salon des arts ménagers, 1954.
[11] Il s’agira là de contribuer à la réflexion actuelle menée sur la profession de l’architecte dont témoigne, parmi les dernières manifestations en date, le colloque intitulé L’enseignement de l’architecture au XXe siècle. Quelles sources ? Quelle histoire ? qui a eu lieu à la Cité de l’architecture et du patrimoine en février 2016, sous la responsabilité d’Anne-Marie Châtelet ou la journée d’étude Construire l’histoire des architectes : autour du Dictionnaire des élèves architectes de l’École des beaux-arts (1800-1968) organisée par Marie-Laure Crosnier-Lecomte à l’INHA le 13 avril 2016.
[12] Les deux manifestations proposées simultanément à l’automne 2016 attestent d’un champ de recherches particulièrement fructueux et témoignent d’un renouvellement de l’approche de l’architecture et du décor intérieur : colloque international organisé par l’INHA et les Arts Décoratifs de Paris, Pour une histoire culturelle du décorateur (XVIIIe-XXe siècle), 7-8 octobre 2016 et le colloque international de l’Université de Lausanne sur La relation entre le décor et l’architecture à l’époque moderne, 24-25 novembre 2016.
[13] Collectif. Henry van de Velde - Passion Fonction Beauté 1863-1957. Tielt : Lannoo, 2013.
[14] Sa pensée globalisante alla jusqu’à la conception de vêtements dans lesquels Maria Sète, l’épouse de Van de Velde se fit photographier dans leur maison du Bloemenwerf.
[15] Claire Stoullig, Catherine Coley (dir.), Jean Prouvé, Nancy, Musée des beaux-arts, Somogy, 2012.